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Aux Muses etc.
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11 novembre 2011

S'éveille

SEveille 

image : Erwan Denis, Plaisirs de myope

 « Je ne m’étais pas figurée que ça pouvait commencer comme ça. J’avais pourtant senti le vent tourner, un ensemble de circonstances qui ne devaient rien au hasard (puis qu’on sait maintenant qu’il n’existe pas) m’avaient en quelque sorte avertie de l’irrémédiable changement qui s’augurait.

D’abord le vol de mon auto, puis  la perte de tous mes écrits. Et peu de temps avant, la décision de me défaire d’un maximum de choses matérielles, comme si mon inflexion intérieure avait rencontré (provoqué ? induit ?) la radicalité d’événements extérieurs, lesquels m’enjoignaient à me défaire de vraiment tout, tout ce que 35 ans de vie peuvent avoir capitalisé dans ce monde-ci, bon an mal an, entre les exigences sociales et les contournements, solutions mentales, puis créatives, créatrices de ce qui me « correspondait », moi l’être de sexe féminin, de race blanche, française et intellectuellement valide.

Une heure bien particulière et forcément lucide, avait fait émerger la conscience de cette nouveauté. Vous me direz que ce pouvait aussi bien être la continuité d’un cheminement, se déployant au fil du temps et m’amenant à cette évidence, et ce pouvait être vrai si l’on ne considérait que le mouvement interne de ma psyché qui cherche depuis toujours la résolution, la compréhension, presque pour elles-mêmes. Mais enfin rien, absolument rien ne le laissait supposer dans ce que je laissais apparaître de mon être durant toutes ces années.

C’était donc « devenu » en moi ou plutôt il était advenu au monde en moi quelque chose qui devait mourir à cette carapace, si épaisse qu’on pouvait y lire, à la manière d’une géologue, les différentes strates de vitrification autant que l’histoire labyrinthique et dense de ce qui m’avait amené là.

Là, à Paris, au petit jour se noyant dans sa fange, derrière ses cathédrales et ses doutes.

Paris, à peine connue, à peine touchée quand tant d’autres y étaient « montés », puis restés, peut-être parce qu’elle porte en elle quelque chose d’une bête et d’une femme, ou peut-être d’un roman et d’un croque mitaine triste. Moi, elle m’avait toujours fait l’effet d’une musique et une seule : le Requiem de Mozart, sentencieuse et pourtant au bord de l’innocence… comme au bord d’un vide, qui vous oblige à voler ou vous garde cancrelat.

J’ai aimé n’y être que de passage et y revenir à l’occasion, comme un amant expert ne délaisse que pour mieux attacher. Elle avait fait sa Merteuil, j’avais fait mon Valmont et oui, c’était peut-être bien logique qu’on se retrouve pour l’ultime danse.

Non, je ne m’étais pas figurée que ça pouvait se terminer comme ça, une envie de meurtre dans le soleil qui pointait à peine et qui faisait de cette vie la cible, de cette ville l’œil jauni.

Je suis montée au point de mire de tous les monuments, j’ai fait cercle autour de ce qui motivait ma folie, et au zénith de ce soleil qui ne voulait décidément pas m’aveugler, j’ai compris. J’ai compris ce que Mozart a sans doute compris au seuil de la mort, ce que la Merteuil a compris au grand soir de sa défaite, ce que le vent comprend des êtres et des choses qu’il contourne ou traverse, ce que pour sûr l’eau de la Seine reflète de poisse verdâtre sous les statues  éternelles et muettes…  ce que le feu enfin, d’une seule balle perçant l’air jusqu’au cœur, laisse entendre. » 


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